Aérospatial Astronomie 25 février 2020
Ramener des morceaux de Mars : pas si simple
Avec la mission MSR, la NASA et l’ESA s’allient pour collecter des roches martiennes et les ramener sur Terre. Si ce projet devrait permettre d’éclaircir les mystères de la géologie martienne, il relève d’une complexité extrême.
Les missions Apollo ont permis de collecter plus de 382 kilos de roches lunaires, mais jamais un échantillon d’une autre planète n’a encore été ramené sur Terre. Célébré l’année dernière, le soixantième anniversaire de la plus grande course à l’espace de l’Histoire nous rappelle pourtant à quel point ce type de mission est aussi utile que complexe. « Apollo 11 a démonté l’intérêt immense à rapporter des échantillons d’autres mondes pour une analyse ici sur Terre » explique Thomas Zurbuchen de NASA Science.
A ce jour, près d’une centaine de roches martiennes, issues de météorites, ont été répertoriées sur Terre. Mais les scientifiques ne peuvent plus rien en apprendre car il leur manque une donnée importante pour aller plus loin : le contexte. De quelle partie de Mars sont-elles issues ? A quel moment ont-elles été extraites du sol ? Dans quel conditions ? Bref, il est temps d’aller chercher de la matière à la source : sur Mars.
Le principal avantage à tenter le voyage est de pouvoir profiter, au retour, des laboratoires à disposition sur Terre et de la qualité de leurs instruments, sans avoir à en construire un sur place. Quelques kilos de roche martienne pourraient occuper nos scientifiques du monde entier pendant plusieurs décennies !
Un projet vieux de 50 ans
Le retour d’échantillons martiens par voie robotisée ne date pas d’hier. Ce type de projet a été imaginé à partir des années 1970 sans qu’il n’ait été mené à bien pour le moment.
La faute tout d’abord à un déficit technologique. Mais en cinquante ans, d’énormes progrès techniques ont été réalisés, notamment en matière de propulsion et de docking (l’accrochage entre deux vaisseaux, comme entre l’ISS et les ravitailleurs Soyouz). Notre connaissance de la planète rouge a elle aussi bien évolué. Spirit, Opportunity, Curiosity, sans oublier Mars Express, de nombreuses missions robotiques ont foulé ou survolé la planète rouge. Enfin, les techniques d’extractions ont elles aussi été améliorées et pu être testées lors de plusieurs missions sur des astéroïdes, comme la sonde japonaise Hayabusa2 sur Ryugu.
Le projet le plus avancé en la matière est la mission MSR (Mars Sample Return), fruit d’une coopération entre la NASA et l’ESA. Les deux agences ont dressé les grandes lignes de la mission et la répartition des rôles.
Une mécanique complexe
Première étape, et non des moindres : le forage. Le rover martien va devoir embarquer un matériel de pointe pour lui permettre de creuser dans le régolithe en surface. L’instrument le plus spectaculaire est sans conteste SuperCam, un laser extrêmement puissant dont le rayon chauffe à plus de 10 000°C et est capable de réduire en cendres de petits morceaux de roche. Ceux-ci s’évaporent ensuite et sont filmés par une caméra spéciale qui peut estimer la composition de la roche. Mais cette analyse sur place, aussi sophistiquée soit-elle, ne vaut pas une analyse approfondie en labo.
Dans le cadre de la mission MSR, trois vaisseaux vont être utilisés et travailler ensemble : le premier pour creuser et collecter les roches, les trier et les emmener à un second à bord duquel seront stockés les échantillons dans du CO2. Ce deuxième rover va ensuite apporter la collecte à un troisième robot qui stockera la récolte dans un conteneur avant de rentrer sur Terre.
L’étape de retour sur Terre n’est pas la plus facile. Même si l’attraction martienne est plus faible que celle que l’on peut ressentir sur Terre, réussir à faire décoller un engin et à s’en extirper demande un minimum de force de propulsion.
Un risque de contamination élevé
L’autre grand défi à relever : comprendre et faire face aux risques de contamination bactériologique. Sur Mars, la toxicité de la poussière martienne, que l’on soupçonne d’être plus dangereuse que sur Terre, ne devrait à priori pas tellement impacter les rovers. Mais ceux-ci pourraient embarquer des bactéries inconnues et répandre d’éventuelles maladies lors de leur retour sur Terre.
« Il est fort à parier que les agences spatiales en charge de ce type de programme optent pour une trajectoire d’évitement à l’arrivée. Les cargos qui transporteront la matière prélevée n’iront pas directement sur Terre et patienteront certainement en orbite le temps d’effectuer les contrôles nécessaires » expliquait Michel Viso interrogé sur le sujet lors d’une édition du CNES Tweetup à Paris.
Ce genre de mission, hautement technique, est soumise à d’importantes précautions pour éviter toute contamination par une bactérie inconnue. Et, dans les missions d’exploration à venir, la manœuvre qui consiste à s’assurer de la non dangerosité des échantillons va constituer un vrai challenge. « Les Américains ont aussi essayé de purifier le collecteur au lance-flamme pour faire disparaitre les potentielles bactéries dangereuses. Puis chaque échantillon collecté doit être placé dans une enveloppe étanche. Tout ceci est très complexe ! » raconte Michel Viso.
Le top départ de MSR devrait être donné en juillet 2020 avec le lancement du rover Mars 2020 chargé de la collecte. Encore une fois, la mission Apollo se rappelle à nous ; elle a prouvé que les grandes découvertes émanent des grands projets. Si l’envoi d’êtres humains sur Mars n’est pas encore d’actualité, cette mission de retour d’échantillon pourrait en être une étape importante.