Aérospatial 17 décembre 2017
Le programme Copernicus de l’ESA, véritable sentinelle de notre planète
Le 28 novembre dernier, Michel Verbauwhede, Directeur des programmes d’observation de la Terre de l’ESA, tenait une conférence sur Copernicus à la Maison de l’Europe à Paris. L’occasion de revenir sur ce programme ambitieux qui vient tout juste de livrer de nouveaux résultats accablants sur la pollution de l’air.
Développé par l’ESA (agence spatiale européenne), Copernicus est un ambitieux programme d’observation climatique par satellite. Il prend en compte les données collectées par des satellites comme Spot, Jason ou Pléiades. Mais pour aller plus loin, l’agence a décidé de créer une flotte complète de nouveaux satellites baptisée Sentinel. A l’heure actuelle, 6 satellites Sentinel ont été placés en orbite autour de la Terre. Chacun d’entre eux a une mission bien spécifique : scruter les terres émergées, la couleur de l’eau, la chimie de l’atmosphère ou encore l’altimétrie.
Pour observer correctement la Terre, l’ESA est obligée d’utiliser plusieurs satellites pour couvrir la surface de la planète et offrir une répétitivité de prise de clichés suffisamment importante. L’agence spatiale peut ensuite compléter son observation avec des HAPS (plateforme de haute altitude) ou des petits satellites.
Les satellites Sentinel observent sans relâche l’évolution des phénomènes climatiques et peuvent prendre des clichés d’une finesse incroyable. A 600km d’altitude, ils peuvent avoir obtenir une précision au millimètre. C’est depuis l’espace que les scientifiques ont observé l’affaissement de 2mm d’une tour aux États-Unis.
Le 13 octobre dernier, c’est au tour du Sentinel-5P d’être lancé. Son but ? Etudier la pollution atmosphérique. Ses premiers résultats ont été divulgués le 1er décembre.
Des relevés satellites inquiétants
Les premiers relevés de températures datent des années 1880. Et au fil des ans, les records de températures s’enchainent : 2003, 2015 etc. La prise de conscience de ces problèmes climatiques est assez récente. Il y a une trentaine d’années naissait le GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) dont le but est d’étudier les changements climatiques et leurs conséquences. Ce groupe d’experts a publié en 2014 un rapport présentant l’évolution du climat à l’horizon 2100. Ce dernier révèle que si l’Homme poursuit son activité industrielle comme il le fait actuellement, la Terre pourrait gagner jusqu’à 5,9°C par rapport à la période préindustrielle. Des études plus récentes semblent indiquer que ces analyses étaient trop optimistes et que la température pourrait s’élever davantage.
Paradoxalement, il pourrait même faire plus froid en Europe. Avec le dérèglement climatique, le Golf Stream va en effet avoir tendance à se déplacer petit à petit vers le sud de l’Atlantique.
La diffusion des relevés satellites et des premiers chiffres a déclenché des réactions politiques de certains états. « L’ambassade de Chine en France s’est plainte des chiffres et le gouvernement suisse a même demandé à l’Italie pourquoi ces derniers ne faisaient rien pour régler leurs problèmes de pollution dans le nord du pays. Au niveau du cercle polaire nord, la fonte des glaces a ouvert de nouvelles routes maritimes plus courtes et des gisements d’hydrocarbures dont le contrôle déclenche des tensions géopolitiques » raconte Michel Verbauwhede.
Le traitement des données, un défi stratégique pour l’Europe
En 3 ans, les satellites du programme Copernicus ont collecté 32Pb (petabytes) de données, c‘est 20 fois plus que l’ensemble des livres américains numérisés ! Et cette quantité de données ne cesse de s’accroitre, on assiste à une véritable inflation.
Selon Michel Verbauwhede, les Chinois copieraient certaines données récoltées par le programme Copernicus. Google ferait de même mais de manière plus indirecte, en offrant la possibilité à ses utilisateurs d’y accéder. Les données collectées par le programme Copernicus sont libre d’accès donc à priori, rien n’empêche des sociétés étrangères d’accéder à ces informations. Concrètement, l’ESA met à disposition des données et des outils pour que d’autres organismes s’occupent de l’analyse.
Mais un problème se pose sur le financement de ce genre de programme spatial. Car si l’essentiel de ces données sont copiées par des entreprises américaines ou chinoises et qu’aucune société européenne ne s’y intéresse, l’Europe financerait Copernicus pour rien. Une partie de l’assemblée semble regretter d’ailleurs l’absence d’un « Google européen ».
Copernicus est un système relativement bien développé par rapport à ceux proposés par d’autres pays. Les Américains, qui n’ont pas déployé autant de moyens pour observer l’Europe depuis l’espace, sont très reconnaissants au vieux continent pour leur suivi satellite. A tel point que les Etats-Unis auraient écrit un courrier de remerciement à l’Europe pour leur soutien pendant les périodes de puissants ouragans il y a quelques mois.
L’observation satellite a avant tout des répercutions civiles. Elle est très utile dans le bâtiment par exemple. Au Danemark, les ingénieurs ont eu besoin de tracer une courbe géodésique zéro pour construire un pont destiné à rejoindre la Suède. Sans satellite, l’opération est délicate. En effet, la Terre n’a pas une forme parfaitement ronde, elle est légèrement aplatie au niveau des pôles à cause de la rotation. On parle plutôt d’un géoïde. Et les ingénieurs danois ont déjà connu quelques problèmes d’alignement, comme le témoigne ce point construit à Copenhague dont les deux bouts n’ont jamais été rejoints à cause d’une erreur de quelques centimètres.
« L’ESA propose donc des outils pour les services publics, pas pour le grand public directement. Les gens utilisent nos données, on sait pas forcément pour quoi faire mais ce n’est pas très grave. La question que l’on se pose c’est comment réussir à fédérer la communauté des utilisateurs » confie Michel Verbauwhede.
Le problème, c’est que le champ d’observation de la Terre est très vaste et les sujets sont nombreux. Il faut donc mettre des priorités. L’un des principaux usages est la création de statistiques agricoles.
Des satellites soumis à de nouvelles normes
Les nouveaux satellites doivent être plus solides, ré-orientables sur Terre dans les 25 ans et doivent se désintégrer totalement dans l’atmosphère si besoin. Une fois qu’ils n’ont plus de carburant, les satellites sont généralement déplacés vers une orbite cimetière située à 36 300km d’altitude, soit quelques centaines de kilomètres plus loin que l’orbite géostationnaire. L’orbite géostationnaire est une zone relativement éloignée et utilisée par les satellites qui observent toujours la même zone de la Terre. La pollution spatiale, popularisée notamment par le film Gravity, semble être au coeur des réflexions des constructeurs de satellites.