Astronomie 6 septembre 2020
Fusion de trous noirs sur fond de mystère
Deux trous noirs, 9 masses solaires disparues et une énigme, c’est sur ce scénario que repose la découverte de la plus grosse fusion de trous noirs jamais détectée.
C’était en 2015. La presse scientifique ne parlait que de ça : « découverte historique », « Einstein avait raison », « la plus grande découverte scientifique du XXIème siècle ». Les observatoires LIGO et VIRGO détectaient alors des premières ondes gravitationnelles pour la première fois et confirmaient ainsi plusieurs théories sur la structure de l’univers. Quelques années plus tard, notre duo de choc frappe à nouveau.
Un gros bang
LIGO a été le premier à détecter ce nouveau signal extrêmement rapide et extrêmement puissant. Quatre vibrations d’une durée totale inférieure à 1/10ème de seconde signalaient l’instant précis où deux trous noirs ont fusionné. Ces deux monstres de l’espace, dont les masses initiales sont estimées à 85 et 66 masses solaires, ont donné naissance à un seul trou noir de 142 masses solaires. Les plus matheux d’entre vous qui ont eu le réflexe de relire l’addition auront noté cette différence de 9 (en réalité on est plus proche de 8, pour des questions d’arrondis). Mais où est donc passée cette éjection d’énergie ?
Lorsque les détecteurs de LIGO (Etats-Unis) et VIRGO (Italie) s’activent, c’est cette onde d’énergie de 8 masses solaires qu’ils viennent de détecter. Elle vient frapper leurs capteurs après avoir voyagé pendant plus de 7 milliards d’années dans le vide de l’espace ! Autrement dit, ce choc s’est produit à une époque où l’univers était deux fois plus jeune qu’aujourd’hui.
Ce gros bang qui tord l’espace-temps témoigne de la débauche d’énergie de 8 masses solaires créée par la fusion. Une masse solaire c’est une unité de mesure qui équivaut au poids du Soleil et nous évite d’écrire trop de zéros lorsque l’on parle du poids d’un astre. Pour vous donner une idée, la masse du Soleil c’est 1 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 kg. Lorsque les capteurs se sont soudainement affolés, les équipes de LIGO se sont dit qu’ils avaient à faire à quelque chose de lourd, très lourd.
Une énigme de taille
Ce trou noir binaire GW190521 se situe dans la catégorie des trous noirs de masse intermédiaire, qui pèsent généralement entre 100 et 1000 masses solaires. C’est d’ailleurs la première fois que l’on confirme directement l’existence de trous noirs de cette masse. Et hop, une découverte de plus.
Mais si cette détection intrigue, ce n’est pas par la taille du trou noir final. On savait déjà que les trous noirs pouvaient être minuscules (appelés trous noirs quantiques et dont le rayon est d’environ 10^-31) ou supermassifs (jusqu’à 40 milliards de masses solaires). Par exemple, celui qui trône au centre de notre Voie Lactée pèse près de 4 millions de masses solaires ! Mais sa formation date probablement de l’origine de l’univers. Or dans le cas de GW190521, on parle d’un trou noir formé à partir d’une étoile. Et c’est ce détail qui change tout.
On le rappelle, une étoile peut terminer sa vie de plusieurs manières : elle peut exploser et se transformer en supernova, elle peut grossir puis se rétracter pour former une étoile à neutrons. Mais les étoiles les plus massives, elles, finissent souvent en trous noirs. Le plus massif des deux trous noirs est, d’après ce que l’on sait à ce jour de la vie et mort des étoiles, bien trop gros pour avoir été formé à partir d’une étoile massive. Les calculs théoriques montrent que les trous noirs stellaires, formés à la suite de la mort d’une étoile, ne peuvent se transformés en trou noir que s’ils pèsent moins de 65 masses solaires.
En clair, si l’étoile pèse moins de 65 masses solaires, elle se transforme en supernova, si elle pèse plus de 130 masses solaires, elle se transforme en trou noir. Entre les deux, il y a une zone dite « interdite » qui mènerait l’étoile à disparaître sans laisser de trace.
Pour expliquer ce problème de masse, la première hypothèse, qui semble la plus probable, est que ce trou noir ait été lui aussi formé par la fusion de deux autres. Deux petits qui forment un gros, qui se mélange à un deuxième gros formé lui aussi par deux petits, pour former un très gros. Vous suivez ? Ce scénario est plausible si la fusion a lieu dans un environnement très dense comme le centre d’une galaxie ou un amas globulaire. Autre possibilité : si l’étoile se trouve dans une galaxie possédant peu d’éléments lourds (ex: fer, nickel), elle pourrait former ce type de trou noir géant à la fin de sa vie. Enfin, il est aussi possible que l’étoile qui a engendré ce trou noir ait fusionné avec une autre étoile et gardé suffisamment de structure pour s’effondrer sous forme de trou noir massif.
Cette découverte lève le voile sur une énigme qui devrait donner du fil à retordre aux scientifiques. Une chose est sûre : les trous noirs n’ont pas fini de nous surprendre. Encore inconnus il y a quelques dizaines d’années, nous savons aujourd’hui qu’ils sont omniprésents dans l’univers, que leur taille peut être très différente de l’un à l’autre et qu’ils se dévorent entre eux. Cette nouvelle découverte vient mettre à mal plusieurs des grandes théoriques utilisées pour décrire la structure de l’univers, et notamment notre compréhension du fonctionnement de la gravité.
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